CDOA : circulez, il n'y a rien à contrôler !
En reprenant les huit réunions de la CDOA* de l'Ain entre avril 2021 et janvier 2022, sur 97 dossiers, 7 seulement faisaient l'objet d'une mise en concurrence, les 90 autres donnant lieu à une autorisation tacite car sans concurrence. Parmi ceux-ci : 16 ont contribué à une installation, 74 à un agrandissement. Au final, les 2/3 du foncier libéré a bénéficié à une ferme déjà en place. Nous sommes ainsi spectateurs de l'agrandissement en marche des exploitations agricoles, avec des outils de contrôle administratifs inopérants... mais on fait comme si ça servait encore à quelque chose.
Il y a bien un délai d'instruction des autorisations d'exploiter de 4 mois qui devrait permettre la mise en concurrence, mais c'est dans la pratique inaccessible à un candidat à l'installation. Il faut avoir l'information (désormais publique grâce à la Conf, mais il faut la trouver et penser à la chercher très régulièrement), aller rencontrer les propriétaires, obtenir leur signature et celle des éventuels indivisaires, avoir envie de s'opposer à ses voisins... c'est un boulot de dingue pour ceux qui ne sont pas du coin et qui cherchent à s'installer. Notre premier combat est donc la publicité de la libération des terres. Les mutations du foncier doivent être transparentes et anticipées afin que chaque candidat à l'installation puisse faire valoir son projet avant que les terres ne soient accaparées.
L'impuissance du contrôle des structures se manifeste aussi à travers l'incapacité des DDT à faire respecter les décisions prises en CDOA*. Comme le droit de propriété prime sur une autorisation d'exploiter, un propriétaire peut accorder un bail à qui bon lui semble, même à un agriculteur qui n'aurait pas eu la priorité lors de l'attribution en CDOA*. Il y a bien un régime de sanctions qui peut être appliqué, mais dans les faits, les DDT rechignent à aller au conflit...vivons heureux vivons dans le déni ! Je peux en témoigner pour avoir vécu cette situation au moment de mon installation, perdant ainsi 8 ha sur 29 face à un voisin disposant de plus de 300 ha, sans réaction des services de l'Etat.
Mieux encore, la faiblesse du contrôle des structures incite désormais les agriculteurs à ne plus demander d'autorisation d'exploiter : ils mettent ainsi la DDT devant le fait accompli. Pas de dossier, pas de concurrence, une entente avec le propriétaire et le cédant, un bail et le tour est joué. La PAC* elle-même n'est pas conditionnée par le contrôle des structures : on peut déposer une déclaration sur des ilots où il n'y a pas d'autorisation d'exploiter (et même où parfois le propriétaire n'est pas au courant), il suffit de récupérer les DPB du cédant. Combien de centaines d'hectares passent ainsi sous les radars chaque année ?
Au final, cette situation semble arranger beaucoup de monde. Les propriétaires qui veulent choisir leur fermier sans entrave, les agriculteurs engagés dans une fuite en avant vers l'agrandissement et la captation de la PAC*, les services de l'Etat qui ne disposent plus de moyens humains pour assumer la complexité de leurs propres procédures. A l'heure on l'on feint de regretter la baisse constante du nombre d'actifs agricoles, on peut dire que les outils sont en cohérence avec l'ambition.
On se prend à rêver d'une toute autre gestion de la terre, dans la transparence et la concertation avec toutes les composantes de la société et non avec des acteurs juges et parties. Une gestion équitable au nom de l'intérêt général pour répondre aux enjeux actuels de l'alimentation, de l'écologie, de l'emploi agricole, du lien à la population, à l'échelle la plus efficace, celle des communes ou des intercommunalités, là où l'on connait le mieux les situations, les besoins, les projets. Mais entre ceux qui veulent libéraliser la gestion foncière et ceux qui se satisfont des dysfonctionnements actuels, on se doute que ça ne soit pas à l'ordre du jour de la rue de Varenne.
Olivier Joly, paysan à Val-Revermont